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Carrières sur Seine, 78, France

jeudi 13 mars 2008

Marines américaines

Boston Airport. Longs et tatillons contrôles douaniers. Je sors de l’aéroport sous un ciel rose de fin de journée qui vire à l’orange au dessus des lumières criardes des motels puis au bleu outremer vers l’est. Joie de mes premiers pas en Amérique. Banque. Change de billets verts. Le loueur de voiture de l’autre côté de l’avenue me propose pour 150 $ une vieille buik turquoise aux sièges de cuir défoncés, kilomètres illimités. J’accepte, tout heureux de dépenser les premiers dollars de ma vie pour une belle américaine! Je pose ma valise à l’arrière. L’homme me recommande de verrouiller les portières de la voiture tant que je circulerai dans la banlieue de Boston. En route : le ciel est maintenant jaune, presque vert au-dessus de la ville et tout noir vers l’est.

S’insérer dans la file ininterrompue des véhicules qui roulent lentement, respecter la bonne distance avec ses voisins, suivre les indications des panneaux pour Cape Code: les villes défilent une à une, qui toutes se ressemblent : Braintree, Rockland, Hanover, Marshfield, Kingston. Mes regards se tournent sans cesse vers la droite, à la recherche de l’océan décidément invisible dans l’obscurité mais peut-être la route est-elle trop loin du rivage. La nuit est noire. Le décalage horaire et les fatigues du voyage me poussent à faire halte dans le premier motel de East Sandwich. La chambre ouvre sur une cursive au bout de laquelle un couple danse sur un air de Chet Baker qui sort d’un vieux juke-box Wurlitzer. La musique semble ne jamais devoir s’arrêter : elle berce mon sommeil jusqu’aux premières heures du jour.

Tôt levé. Le soleil se lève aussi, que je salue sur une plage de Cape Code Bay, vide de tous bateaux : la mer lisse s’étale comme un disque de métal en fusion, si étincelante que les mouettes semblent devoir s’y consumer, qui s’y posent avec douceur. Pas de vent, pas d’odeur marine. Ronronnement régulier des moteurs sur la route à l’arrière de la plage.

Les serveurs noirs du Starbucks en uniforme déjeunent au fond, près du bar. Je commande un petit déjeuner et m’installe à une table loin de l’entrée, face à la mer. Dans la salle, pêle-mêle, encadrées d’acajou, des photos de la famille Kennedy, dont une de mes préférées : la partie de foot sur la grande pelouse de la maison de Hyannis Port : John, Bob, le chien, le ballon.

Je reprends la route de Hyannis. Comme la veille, une longue file de grosses voitures silencieuses s’étire le long de panneaux publicitaires géants sortis tout droits du rêve américain : bonheur béat de couples blonds, technologie, parcs de loisirs, résidences sécurisées pour seniors, sourire d’Hillary Clinton sur fond de bâtisses blanches sous un ciel d’azur, main tendue de Barak Obama.

J’arrive sans encombre à Hyannis, où m’attend S. dans son bureau, 397 Main Street. Notre dernière rencontre date de nos années de Sorbonne. S. n’a plus fait le voyage vers l’Europe depuis ce temps. Retrouvailles de ceux qui savent qu’ils ont changé mais ne se le diront que plus tard. S. m’entraîne vers les plages de Cape Code, lumineuses et fraîches. Subtiles nuances du sable clair, des nappes d’eau grises qui le lèchent et du bleu délavé, presque blanc, du ciel. Nous regardons l’empreinte de nos pieds nus sur le sable. S. me raconte l’extraordinaire histoire de cet homme épuisé qui chemine le long de la plage et rencontre un inconnu, plus meurtri encore, qu’il aide et soutient dans sa marche sur le rivage. Arrivés à destination, le premier se retourne pour mesurer la distance qu’ils ont accomplie ensemble. Il observe les empreintes de leurs pas sur le sable et constate avec étonnement qu’il ne distingue que les pas d’un seul homme alors qu’ils étaient deux. « N’as-tu pas remarqué que je t’ai porté tout au long du chemin ? » dit une voix à son oreille. Et lorsqu’il se retourne, son compagnon a disparu…

S. administre depuis quelques années le musée JFK de Hyannis et la belle collection de photographies du fonds de la Library of Congress. Visite guidée après la fermeture des portes. Jeu muet des postures des deux frères, le fin et le fort, le doux et le sévère, ascendant naturel de l’aîné sur le cadet, sentiments partagés au-delà des mots dans l’éloquence des regards et l’élégance des choix, le poids des silences, les distances, et les ombres d’une tragédie américaine qui se profile dans le clair obscur des clichés. Nous dînons dans l’appartement de S. qui domine Hyannis et la baie. Il a choisi, pour cette brève escale américaine, de me faire découvrir Nantucket que nous rejoindrons dans la matinée du lendemain.

Dès le lever du jour, cap vers la petite île dont j’ai tant rêvé à la lecture de Herman Melville. Des marsouins ont escorté le ferry dès la pleine mer, qu’ils n’ont plus quitté pendant les deux heures de la traversée. J’arrive au port de Nantucket dans le même état d’excitation qu’Ishmaël, le narrateur de Moby Dick. Nous découvrons près des quais une petite galerie qui expose des toiles d’Aivazovski, le peintre arménien que je n’ai jamais vu exposé en Europe. La route de Nantucket Downtown passe ensuite par le petit temple protestant où se rassemblaient les baleiniers pour un dernier sermon avant de prendre la mer. Impossible de ne pas s’y arrêter ! J’ouvre la porte. Nos pas résonnent sur les dalles de pierre usées comme y résonnait sans doute la jambe d’ivoire du Capitaine Achab, si jamais il y vint un jour… Odeur de cire, maquettes de barques, harpons et filins contre les murs blancs. Longue pause sur un des bancs de bois sombre et luisant, sous un tableau de bois où les numéros des psaumes sont écrits à la craie. Le calme du lieu nous conduit enfin à nous raconter nos dernières années de vie, que nous découvrons aussi croisées malgré la distance que lorsque nous étions étudiants : mêmes engagements, mêmes projets, mêmes rêves et mêmes blessures.

Troisième nuit américaine, chez S., face à la mer et au petit phare de bois blanc de Brant Point, à l’entrée du port. Au matin, nous empruntons les chemins côtiers qui font le tour de l’île et nous arrêtons pour déjeuner au soleil sur la pointe orientale. L’horizon voilé cache Martha’s Vinyard, autre île baleinière, la rivale de Nantucket. Passionnante visite au musée de la baleine : l’imaginaire des marins transforma peu à peu la baleine en incarnation du malin mangeur d’hommes, que des expéditions aussi soigneusement préparées que des croisades allaient combattre. Naïves marines qui montrent les barques des baleiniers, incroyablement petites face à l’animal monstrueux et la mer rouge de sang sous un ciel en furie : naissance d’un de ces mythes qui voulurent justifient les vains combats de l’Amérique.

La maison de S. a le charme des vieilles demeures entièrement blanches des armateurs de Nantucket. Du blanc aussi à l’intérieur, de rares meubles blancs, pas le moindre livre, aucun objet. La maison absorbe la lumière du ciel immense au-dessus de la mer. L’unique décoration est une vieille voile de lin également blanc tendue au plafond qui fait d’elle un navire en partance.

Quatrième nuit. Il a neigé aux petites heures du jour, comme un délicat badigeon sur les champs d’asphodèles derrière les dunes, que la chaleur du soleil déjà fait fondre. Promenade le long des quais et des plages, déjeuner face au temple protestant. Nouvelle visite à la galerie de peintures pour voir encore les précieuses petites marines d’Aivazovski baignées des transparences et de la tension des toiles romantiques. Nous reprenons la vielle buik et le ferry en milieu d’après-midi.

Retour à Hyannis. Cinquième nuit passée à visionner They live by night et quelques extraits d’autres films de Nicholas Ray que François Truffaut nommait « le poète de la nuit qui tombe ». Nous partons nous promener dans l’obscurité de la ville endormie. Dans un vieux restaurant juif ouvert en permanence, S. m’explique la façon qu’a Ray de filmer l’enfant en l’homme et l’homme en l’enfant. En début d’après-midi, dernière promenade sur les plages de Cape Code, de plus en plus froides, puis long trajet silencieux vers Boston dans le trafic encombré de la fin de journée. Atmosphère ouatée du jour qui meurt. Je prends l’avion de 20 heures. Nous rendons la voiture de location. S. me laisse aux portes de l’aéroport. De l’avion, je distingue encore les lumières de Cape Code Bay juste avant que l’appareil ne rentre dans les nuages.

Dans l’avion pour Paris, février 2008

1 commentaire:

Unknown a dit…

Boston...
C'est fou que comme par hasard ton ami S. travaille EN PLUS autour de JFK!! Beau voyage... Merci!