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Carrières sur Seine, 78, France

mardi 12 août 2008

Crète 2008

La Crète à nouveau et une attention particulière aux 12 sens : le moi d’autrui, le mouvement, le langage, l’équilibre, la chaleur, le toucher, la pensée, l’odorat, le goût, la vue, l’ouie et la vie…

Écouter : Sur la route de la côte septentrionale entre Héraklion et La Canée. Le vacarme assourdissant des cigales couvre le ronflement des moteurs. La plus légère modification atmosphérique les fait taire pour quelques secondes, toutes au même instant.
À Mochlos, dans une maison grecque où nous louons une chambre : à l’ombre de la treille qui entoure la maison, les minuscules cages où gazouillent dès l’aube les chardonnerets que capture Dinos.
Proximité de l’italien et du grec dans l’accentuation de certaines voyelles. Mais le grec reste plus rocailleux.


Sentir : Le parfum du figuier, bien plus vaste que l’arbre lui-même, comme une douce aura parfumée autour du tronc.
La Canée : Dans les rues, devant les maisons, sur les marches des vieux palais vénitiens, de hauts pots de terre cuite où poussent, vigoureux, des menthes, basilics ou géraniums odorants dont les effluves se répandent au frôlement d’une robe ou sous la caresse d’une main passagère.

Voir : La Canée au coucher du soleil sous l’immense horizon d’est en ouest en un très lent dégradé : anthracite, bleu nuit puis orange d’abord très pâle et de plus en plus soutenu au-delà des montagnes.
Le lendemain, à l’aube, la même lumière dorée dans la fraîcheur du petit matin qu’en Tunisie, sur les quais de Bizerte encore endormie.
Après les heures infinies d’éblouissante lumière, la venue du crépuscule, comme un autre cadeau.
Sur le port de Mochlos, à la terrasse de la taverne de Spyros, l’un de notre QG crétois : les gerberas orange ont une teinte rigoureusement complémentaire au bleu outremer des flots.
Juste avant le lever du soleil, sur les landes semi désertiques de Lendas, tous les jaunes, les ocres et les gris des toiles d’Anselm Kiefer.
Sur la route d’Efalonissi, à la pointe sud de la côte occidentale, le vert franc des vignes et des châtaigniers sur le fond argenté des oliviers. Par endroit, les tâches plus jaunes des pins d’Alep. Au pied des derniers collines, les eaux turquoises du lagon dont les vagues paresseuses lèchent une fine frange de sable rose.

Goûter : Sur une place de Vrisses, à l’ombre de gigantesques platanes, la fraîcheur du yoghourt traditionnel, doux et ferme sous l’onctuosité d’un miel au parfum de noisette.
Alcools. Vins des tavernes, souvent nés des vignes alentour : un vin ambré fort et fruité, un rouge très dense et aromatique ; agressivité du raki qui finit souvent dans les pots de fleurs… Anisé, épicé, l’ouzo se boit avec lenteur à l’ombre des tamaris, toujours accompagné de l’eau glacée qui éteint son feu.

Toucher : La plupart des hommes jouent sans cesse avec les perles lisses de leur komboloï d’ambre, de pierre ou de plastique qu’ils égrènent machinalement à chaque instant.
Les blocs verts, noirs, gris et blancs des marbres sans cesse polis par la vague. Leur forme appelle la caresse : on s’y adosse, on s’y laisse asperger d’eau tiède. Tout autour les galets appellent tout autant la main qui les saisit, les soupèse, les apprécie, les rejette ou les choisit
Promenades: les pieds s'écorchent dans la poussière des landes au contact des chardons, des buissons épineux, des herbes rudes et des cailloux pointus

Vivre la chaleur : Alternance constante d’un vent frais, tiède ou chaud selon la présence du sol caillouteux, de la mer, des montagnes ou de la végétation. Chaud sous les eucalyptus, le vent concentre sa fraîcheur à l’ombre dense des épais ficus.
Bains purs du matin, dans l’eau que la nuit a comme dynamisée, bains tièdes du jour sous le vent chaud venu du maquis, bains de la nuit, plus frais, dans une eau que l’obscurité rend plus lourde.

Bouger : Le battement rythmique de la mer qui frappe les rochers attire l’attention vers le scintillement des vagues comme un or liquide au pied des masses muettes des montagnes. Le rivage se fait, se défait et se recrée continuellement dans cette lumière. Accorder le rythme de la nage à ce battement donne au geste du nageur son amplitude.

Trouver un équilibre : L’horizontalité de la mer et la verticalité du relief, cadre d’un équilibre dynamique entre ciel et terre comme sur cette crique de sable parfaitement ronde de Stavros, presqu’île d’Akrotiri, où fut tournée la dernière scène de Zorba le Grec, l’homme debout. La colonne du temple dressée sur son socle ne dit pas autre chose que cet équilibre.
Bains de minuit à Lendas sous le ciel enfin sombre. Microcosme et macrocosme : les mains font naître de l’eau noire des étincelles d’argent pareilles aux étoiles de la voie lactée qui barre d’un trait la nuit en direction de la Libye.

Rencontrer : Cohue à l’aéroport devant le guichet d’embarquement. Parmi les touristes, une femme et son bébé. Notre voisine, mère de deux enfants, l’encourage à se frayer un chemin vers les employés. Se retourne ensuite vers son mari : « Un mot suffit parfois à donner aux autres l’assurance qui leur manque. »
À Kolymbari où nous cherchons une chambre : l’aubergiste nous reçoit, boulanger de ce minuscule port de pêche du nord est de l’île. Nous fait asseoir, nous offre du raki, de l’eau glacée et des biscuits et ne consent à nous montrer la chambre qu’après nous avoir patiemment restaurés. Grand malade du cœur, il est tout entier dans cette façon de soigner la relation à l’autre à travers cette attention justement cordiale.

Parler : Sur une icône du monastère de Feranomi, le Christ debout et peut-être Lazare à demi relevé. Un rayon rouge sort des lèvres du Christ et pénètre droit dans l’oreille de Lazare.




Penser : Sur une autre icône de la première partie du 16e siècle, au monastère de Hagia Trias : l’évangéliste de face et, juché sur son épaule, la bouche contre son oreille et la main droite affectueusement posée sur son cou, un ange à cape rouge qui murmure à son oreille. Le logos, pensée créatrice, devient par lui parole.
La pensée à l’œuvre dans la montagne à travers le travail des générations de paysans qui ont donné forme aux terrasses où s’étagent les vieux oliviers : pensée d’architecte muette, continue, pensée humble, imaginative, paysanne et concrète, née du contact des pentes abruptes et que les pères transmirent à leur fils.

Vivre : L’église de Chryssoskalitissa perchée sur un rocher surplombant la mer. Son escalier de pierre comporterait une marche en or que seuls découvrent ceux qui ont le cœur assez pur : l’affirmation forte et fragile du sens de la vie est tout entière dans cette légende. Dans des reproductions anciennes, l’icône de la Trinité de Roublov, celle de la Cathédrale de la Trinité Saint Serge… Les trois figures assises à la table autour de la coupe prennent sens par notre présence face à eux. Celui qui regarde l’icône clôt cet espace et donne le quatrième temps qui manque à l’image pour que naisse la vie en elle dans la passage du plan divin (le trois) au plan humain (le quatre).
Aube : le jour se lève, le soleil se fait attendre et jaillit derrière la montagne, aussitôt éblouissant, comme il le sera jusqu’au soir. Je songe à ce passage de Heine tiré de son Voyage de Munich à Gênes : « – Nous aurons un beau jour ! me cria du fond de la voiture mon compagnon de voyage. – Oui, nous aurons un beau jour ! répéta tout bas mon cœur en adoration, et il tressaillit de peine et de joie ; oui, ce sera un beau jour, le soleil de la liberté réchauffera la terre plus joyeusement que toute cette aristocratie d’étoiles nocturnes … »

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'essaie de publier mon commentaire, mais je ne sais pas bien m'y prendre sans doute... Je suis fière de toi quand je lis tout ce que je lis et je suis heureuse d'avoir ma petite part dans tout cela. MERCI

Isabele