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Carrières sur Seine, 78, France

dimanche 1 mars 2009

CH 4143 -Dornach

Premier Goethéanum
Nombreuses heures au Goetheanum, désert ou presque en cette période : seul, avec Isabelle, sans elle lorsque ses cours la retiennent à Aesch, avec Thomas et Sandy, venus pour quelques jours de Berlin, lors de visites guidées, à travers les témoignages que présente la Maison Duldeck, face à la grande statue du « représentant de l’humanité », dans la lumière souvent pâle, terne, sans autre relief que celui qu’offrent les brèves trouées de ciel bleu ou de courtes apparitions de la lumière du soleil en ces jours au cœur de l’hiver tandis que le carnaval se prépare à Bâle et déjà bat son plein dans les villages aux alentours.

Glashaus

La première version du Goetheanum semble parler davantage à l’âme, tout particulièrement à travers le motif de la rencontre avec les autres ; aux temps anciens, Hiram avait appelé les êtres humains à construire le grand temple des mystères qui les rassemblerait. Lors de la première guerre et plus tard, de 1913 à 1920, des représentants de 17 nations ennemies se rassemblent autour de Rudolf Steiner, dans un geste libre, un geste d’amour qui dépasse les antagonismes et les conduit à édifier la « Maison du Verbe ». La provenance des matériaux utilisés témoigne de ce même souci de rassembler: ardoises de Norvège, bois de charpente d’Allemagne, verre teinté de France, etc. Mission : manifester les forces créatrices en un lieu offert à l’être humain afin qu’il s’y reconnaisse et s’y expérimente dans son lien aux forces de l’esprit.
Née des cendres de l’incendie du 31 décembre 1922/1923, la deuxième version du bâtiment (1924) semble s’adresser davantage à la conscience. Ce qui frappe : les petits détails, les grandes choses. Effort pour monter au sommet de la colline, effort pour ouvrir les hautes et lourdes portes de l’édifice – nul ainsi n’y entre par hasard – efforts immédiatement compensés par le sentiment de pénétrer un espace aux dimensions de l’être humain, comme si cette partie de soi-même projetée dans l’espace et les formes architecturales organiques éveillaient la conscience de soi et l’équilibre : je suis ici chez moi. La dynamique intérieure qui saisit, anime, plie les formes en béton, le message des masses compactes qui structurent l’espace, les jeux plastiques de la lumière et de l’ombre des escaliers monumentaux, la retenue extrême des couleurs – les blancs, les gris, les noirs – avant l’imposante évidence du grand vitrail rouge de la façade ouest, la rugosité des murs, la transparence du verre, la patine de la pierre, tout ceci éveille l’habitant de ces lieux à lui-même, à la présence, à l’évidence de son appartenance à ce monde terrestre pénétré des forces de l’esprit.

Motif de la coupole du premier Goetheanum, Faust

L’évolution des formes entre les deux versions du bâtiment témoigne d’un génie créatif peu commun. La première bâtisse est constamment présente aujourd’hui malgré son évanouissement matériel, dans la transparence des expériences du présent. Le deuxième Goetheanum inclue dans ses volumes le premier, à la façon dont une expérience enferme le souvenir d’une autre. Quant au bois si librement travaillé de la Maison du Verbe, je le redécouvre, après tant de visites en ce lieu, omniprésent dans les empreintes que le coffrage a imprimé sur le béton laissé brut : la matière minérale de l’édifice est protégée par cette empreinte, cette trace de la vie éthérique du bois sur le béton brut de coffrage. Passé et présent encore dans cette remarque d’un jardinier qui trouve, remontés à la surface de la terre, des éclats des premiers vitraux explosés, fondus sous la violence des flammes de l’incendie…Passé et présent toujours dans la proposition muette faite à chacun de reconstruire intérieurement formes et couleurs de la première version : chacun peut ainsi devenir l’architecte de la « Maison du verbe » ! Premier Goetheanum, escalier ouest


Autre lien entre le passé, le présent et l’avenir de l’édifice, la statue de bois du représentant de l’humanité, comme le couronnement de l’impulsion de Dornach. Elle indique le travail de conscience à accomplir entre les forces du haut et du bas, Lucifer et Ahriman, les indispensables adversaires. L’équilibre que proposent le visage et le geste de la figure centrale s’impose comme le résultat d’un cheminement excluant toute concession, une évidence que souligne aussi le mystérieux sourire de « l’humour des mondes » qui étend ses ailes tout en haut de l’œuvre.

Représentant de l'humanité, étude

Dans la menuiserie, qui abrita des flammes la sculpture inachevée : émouvant espace de travail et de collaboration entre artistes, pionniers de l’esprit à l’aube du dernier siècle, jeunes hommes et femmes du monde entier, visionnaires.


Dans le bosquet du souvenir, un corbeau hyperactif s’affaire à fouiller la terre. Sait-il au moins les cendres qu’il remue ainsi tandis qu’à une portée d’ailes des hauts pins, le grand sphinx de béton qui surmonte la chaufferie tourne son impassible regard vers le sud… ?

La présence chaleureuse et toujours joyeuse de Thomas et Sandy colore toutes ces expériences de beaucoup de fantaisie. Nous passons ensemble un moment en Alsace : Colmar, courte excursion dans la vallée de Munster, Kaysersberg, Ribeauvillé, restaurant alsacien, choucroute, tarte flambée, bière, vin d’Alsace, jeux, plaisanteries et vraies cigognes en bordure de route.

Autres expériences fortes dans ce temps d’avant Pâques : la visite du retable d’Issenheim et le génie de Mathias Grünewald. Postures absolues de l’effroi : Marie et Jean sous la croix, la torsion des mains de Madeleine, son visage de la prédelle rougi par les larmes, déformé par la douleur, les souveraines ténèbres qui supplicient jusqu’au paysage en arrière plan, les mains du Christ comme un cri d’horreur qui pourtant accepte et cet agneau dont le sang coule dans le vase, cet agneau blanc… Le blanc, en ses significations plurielles, qui relie les différentes parties de l’œuvre : blanc tout de pureté de l’agneau, blanc de la colombe de l’Annonciation dans la froide lumière qui baigne la scène, blanc du lange en lambeaux dont Marie entoure son fils et qui deviendra le perizonium autour des reins du crucifié, blanc du voile de Marie sous la croix, futur linceul qui s’irise sur un autre panneau en une diagonale bleutée jaillie du tombeau et se résout enfin dans la polychromie de la résurrection… Au fait c’est quoi un chef d’œuvre ?
Rheinfelden, le soir : un complexe de bains né d’une eau de source saline. Nous flottons dans une détente musculaire totale dans l’eau d’un bassin dont la teneur en sel est proche de celle de la Mer Morte puis nous alternons des séjours dans des cuves à 40 et 15 °. Un bain en plein air sous les vapeurs que dégage l’eau chaude précède une séance de douche dans diverses ambiances : douche tropicale, avec pluie diluvienne tiède, tonnerre, effets de lumière, de fin d’orage, grosses gouttes qui s’écrasent lourdement sur la peau et retour au silence ou cascade de haute montagne, avec rochers, violence du jet glacé irrégulier, fracas de l’eau sur les pierres glissantes, etc. Une fois les voies respiratoires bien dégagées grâce à des séances de nébulisation aux huiles essentielles (menthe, citron), la visite se termine dans le secteur naturiste : hammam avec ciel bleu profond et étoiles qui scintillent ou sauna finlandais avec cheminée centrale (108° tout de même !), douches froides, bain de pieds bouillonnant bien chaud puis détente alanguie dans le silence total sur des pierres chaudes devant un aquarium où évoluent lentement d’énormes carpes couleur ardoise : à deux doigts du sommeil, elles fascinent !

Gempen, au dessus de Dornach et enfin de la lumière : la neige encore, qui persiste sous un grand ciel bleu, des failles rocheuses, des éboulis, des falaises qui répondent dans leurs lignes aux formes organiques des bâtiments de la colline de Dornach.

Alain Tessier séjourne quelques jours à Dornach. Son arrivée coïncide avec la cérémonie donnée dans la Grundsteinsaal pour l’anniversaire de la naissance de Rudolf Steiner : eurythmie plutôt convenue, beaucoup de jeunes dans la salle, on aurait imaginé pour eux quelque chose de plus pétillant… Allocution de Sergeï Prokoviev sur l’intelligence cosmique et la façon dont l’homme s’en saisit avec l’aide de Michael dans le penser.
Ces paroles de Prokoviev trouvent le lendemain un écho inattendu dans le visage de Kate Winslet que filme Stephen Daldry d’après Le liseur, roman de Bernhard Schlink : une femme mystérieuse, beaucoup plus âgée que l’adolescent qu’elle initie le temps d’un été aux jeux de l’amour, disparaît brutalement. Son amant la retrouve plusieurs années plus tard, rattrapée par son passé : surveillante à Auschwitz, elle s’est faite l’instrument scrupuleux de la barbarie dans le refus de penser son destin personnel, puis s’est réinsérée, analphabète, privée de tout accès à la culture, dans un silence qui la paralyse, que seul brise cet été d’amour d’après guerre avec l’adolescent qui lui lit Lessing, Homère ou Tchekhov. Condamnée à la prison à vie, elle trouve enfin la rédemption dans l’exercice du penser que lui offrent l’apprentissage de la lecture et l’accès à la culture. Penser pour comprendre, refuser l’inacceptable et pouvoir dire pardon.

Départ de Dornach, juste avant la floraison des cerisiers dont les bourgeons lentement se gonflent. Fin croissant de lune à l’ouest, couché sur l’horizon des collines, sur lequel Vénus un moment se pose, très brillante. Au matin, jaillissement blanc argent d’un immense bouleau sous le ciel très bleu.

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