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Carrières sur Seine, 78, France

dimanche 15 août 2010

Slow Life ou les riches heures de Crète

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Pour Dani Ruelland

Aubes: Vent de mer qui balaie la vaste cuve d’outremer, froissement des palmes, odeurs poivrées des épineux, parfum sec d’invisibles immortelles et senteurs plus sucrées des lauriers roses, fièvre des cigales au bord de la crise de nerfs dès les premières lueurs. L’air est déjà chaud et le ciel plombagine s’éclabousse de jaune et d’orange. La lumière souveraine monte rapidement le long des façades des maisons, déjà s’impose, et la Crète passe en quelques secondes de la nuit au jour.

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Villages: Géométrie des cubes de pierre ou de béton badigeonnés à la chaux, calades de galets ou de ciment éclatées sous la poussée des figuiers, arches, venelles, escaliers, corridors de vent, silence. Les vieilles portes de bois à la peinture rongée par la lumière sont rapiécées de pièces de métal et tôles de bidon au timbre des grandes marques d’huiles pour moteur. Quelques poules, des chats faméliques et craintifs, quelques vieillards, une vie minuscule. Au pied des villages, une autre vie, dans les potagers où prospèrent aubergines, fenouils, courges, poivrons, tomates, choux verts, fèves, amandes, raisin, pêches, arbouses, grenades, oranges, cédrats, mandarines et caroubes et les belles pastèques entassées en pyramide dans le parfum du basilic, de l’hélicryse et de la lentisque.

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Icones: Livres d’images des monastères et des petites églises blanches. A Fanéroméni, derrière un vase de fleurs fraiches, un panneau de bois peint : Adam reçoit le souffle divin, épais trait blanc qui relie ses lèvres à celles du créateur qui prend le pouls du premier homme comme pour vérifier la validité de son pneuma ! Les riches heures du jardin d’Eden battent déjà dans le vert du premier plan. Plus haut, le panneau de l’Annonciation, presque entièrement occupé par l’ange et son geste somptueux : « Je t’adresse un message ». Tout à côté, la Dormition de la vierge, étendue comme sanglée sur un lit, entourée de tous les saints et les prophètes et déjà présente, petite, emmaillotée, dans la main du père céleste. Le panneau est entièrement couvert de gris et de blancs que rythme, seule couleur, le doré des auréoles.

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Kafénéion: Le kafénéion idéal est celui du balcon sur la mer, celui de la treille où murissent les lourdes grappes de raisin vert, celui de la table carré et des quatre chaises paillées sagement rangées autour, celui des jarres de hauts basilics, celui du café oriental, du verre d’eau fraîche et du sirop d’orgeat. Dans les gros bourgs endormis des campagnes, les tables des kafénéions débordent des trottoirs jusque sur la chaussée. Les hommes passent d’un café à l’autre, d’un côté de la route à l’autre, au hasard des conversations et des événements du jour en agitant entre leurs doigts les perles d’ambre, de métal ou de plastique de leur komboloï. Les femmes se rassemblent entre elles devant les maisons, éternellement grecques dans leur strict habit noir.

oratoire, plateau d'Omalos et montagnes blanches

Routes: Routes nationales de bitume, voies désertées plus modestes des campagnes, chemins de ciment blanc des oliveraies, sentiers âniers au surplomb des rivages, pistes que les pick-ups des bergers noient sous la poussière, sentes caillouteuses… toutes ces voies sont parsemées de petites églises de pierre ou de plâtre de la taille d’une maison de poupées qui perpétuent, à l’endroit de leur décès, la mémoire de ceux qui sont morts en chemin. A l’intérieur, derrière la porte vitrée, une petite icône, un peu d’huile et quelques mèches de coton offertes au passant désireux de raviver un instant leur étoile.

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Berger: Il remonte avec ses moutons le vallon qui surplombe la route d’où nous admirons la fin du jour. Un signe amical, il vient vers nous et nous parle en grec puis dans un impossible allemand de ses 5O bêtes, de ses 84 ans, de ses 19 frères et sœurs avant de nous demander de poser pour nous sur une photo qu’il nous fait promettre de lui envoyer à l’adresse qu’il griffonne avec peine sur mon calepin. Vassili, c’est son nom, se décoiffe et pose fièrement devant l’objectif, puis nous embrasse, nous serre les mains et retourne à ses moutons, joyeux.

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Mer: Rivage de galets blancs, étincelants et dans la brume de chaleur qui couvre l’horizon d’opale, les côtes invisibles de la Lybie. Mer déserte sans voile ni pêcheur, désert d’outre-mer : la Crète demeure jusqu’à ce seuil omniprésent une terre résolument continentale dans l’odeur chaude des pierres et des villages accrochés au flanc des collines et des montagnes que protège et régente la déesse-mère aux bras tendus autour desquels s’enroulent des serpents. Elle est mère du foyer, de la fertilité, maîtresse des régions souterraines et gardienne des morts. A ses côtés, le Minotaure, le cauchemar de l’homme-taureau. Passé ce seuil, l’île bascule dans les domaines de l’air et chante Icare, que Jacques Lacarrière nomme « le premier homme oiseau » : fils de Dédale qui fut l’architecte du Labyrinthe, l’anti-Euclide, l’inventeur des tracés méandriques et du plus long chemin possible entre un point et un autre, Icare est le prince des lignes droites et du plus court chemin entre la terre et le ciel. Icare vit dans cette lisière opaline entre terre, ciel et mer, il est l’autre Crète, celle de la mer, l’île qui devient île quand on s’approche de la mer et qu’on se cherche dans l’inconnu.

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Crépuscule

Un peu plus tard, le cadeau de la nuit au jour : la journée s’achève dans l’émerveillement nocturne comme elle a commencé dans l’enchantement de l’aube. Un lent crépuscule dore les monts et incendie d’ocre jaune les coussins d’épineux brûlés par le soleil avant de déployer l’ombre bienfaisante qui s’accroche aux villages et monte vers le dernier sommet. Le soleil achève enfin sa course. Les risées se succèdent, qui moirent l’eau venant du large et la mer soudain s’obscurcit et devient verte dans le bruit d’osselets tout le long du rivage quand la vague désormais invisible se retire. Le ciel se frange d’un éclat bleu pâle à l’ouest et d’un bleu de plus en plus sombre à l’orient. Déjà les étoiles scintillent et la nuit somptueuse célèbre son mystère sous les premières constellations.

Jean Pierre Ablard, Aurel, le 15 août 2010

1 commentaire:

Unknown a dit…

Toujours aussi vrai et beau tout ça...